COMIC SANS
2018
Article
Auteure /
Sylvie Pouliot
Texte de réflexion sur la police Comic Sans pour Jeanne Corriveau journaliste du Devoir
Les controverses sur Comic Sans «Hate Comic Sans» ou «Never use Comic Sans», «Ban Comic Sans » sont nées d’observations/réactions face à l’utilisation abusive et inappropriée (à toutes les sauces) de cette police de caractères. Une utilisation néophyte, considérée comme non professionnelle par les professionnels. Une utilisation sans considération de la personnalité véhiculée par cette police de caractères, de son effet sur la signification du message, de son impact sur la lisibilité aboutit à des représentations/ interprétations contradictoire.
Pour certains, Comic Sans est le clown de la typographie ; d’autres estiment que ce phénomène indique qu’il est temps d’éduquer la société à choisir et utiliser efficacement les polices de caractères, bref de faire comprendre pourquoi il est important d’éviter de choisir Comic Sans.
C’est ce que je fais régulièrement avec les gens qui ne sont pas dans mon domaine : je leur explique toujours mes choix typographiques.
Dans un contexte de conception d’un projet de communication visuelle, le processus de choix du ou des caractères typographiques s’apparente au choix de la/des couleur/s pour un projet. Aucune couleur n’est plus belle qu’une autre. On peut avoir des préférences, mais lorsque vient le temps de faire des choix, plusieurs aspects / facteurs sont à considérer. Il arrive souvent qu’on doive aller au-delà des préférences personnelles afin de privilégier ou d’accentuer certains aspects communicationnels.
J’avoue que lorsque je reçois un texte en Comic Sans, à moins que l’expéditeur ne désire me faire une blague ironique, je suis presque certaine que cette personne n’a pas reçu de formation en typographie. C’est là où nous en sommes avec le Commis Sans. Une blague en Comic Sans ? Peut-être. Un manuscrit religieux en Comic Sans ? J’ai des doutes car j’aurais de la difficulté à le prendre au sérieux et à vouloir le lire. Comic Sans été conçue pour donner vie aux paroles d’un chien dans un phylactère, s’adressant à un public craintif à utiliser l’ordinateur. Destinée à de courts textes, elle se veut amusante (Comic), «friendly» joviale, simple, facile, avec un look enfantin et non sophistiqué. Une majuscule en Times New Roman aurait de toute évidence été trop sérieuse, rigide et intellectuelle.
Même si le dessin de caractères, la typographie, ses perceptions, ses possibilités, ses facilités d’utilisation ont considérablement évolué, il reste que certaines règles et paramètres sont à considérer lorsqu’il s’agit de choix typographique et de lisibilité. Il est important de mentionner que le dessin de caractère et la typographie sont des disciplines très spécialisées qui sont loin d’être en voie d’extinction. Au contraire, des analyses de plus en plus approfondies sont menées dans les programmes d’études supérieures, des travaux spécialisés allant d’études sur la lisibilité papier versus écran, à son impact sur la rétention / compréhension du contenu, etc. Les articles et publications sérieuses prolifèrent dans ce domaine. L’enseignement de la typographie est également une partie importante du curriculum de toutes écoles de design graphique et de communication visuelle. Il est important d’être informé et de connaître les règles et leurs impacts sur le lecteur et sur l’ensemble du message. Les designers graphiques utilisent rarement les polices par défaut et s’ils le font, c’est à la suite d’une recherche exhaustive, souvent parmi des milliers de polices.
Il est également important de considérer qu’en 1995, lorsque Comic Sans a été disponible comme police de caractère par défaut, il n’y avait pas autant de polices « par défaut » qu’aujourd’hui. Elle contrastait avec les autres polices disponibles à cette époque, telles que Arial etTimes qui sont des polices plus classiques, droites, rigides. Comic Sans a définitivement attiré le regard, puisqu’elle suggérait l’écriture fait main, naturelle, sans construction mécanique. Comme elle était différente, les gens l’ont adoptée, surtout en milieu scolaire. C’est également l’époque où presque tout le monde possédait un ordinateur et pouvait s’improviser graphiste car il était désormais possible de faire chez soi de la PAO (publication assistée par ordinateur), un phénomène encore tout jeune qui a commencé 10 ans avant la sortie de Comic Sans (1983).
En écrivant ces lignes, j’ai changé ma police de 10 pts Calibri pour Comic Sans. J’ai dû agrandir ma fenêtre à 250 % car à 100 %, le texte bouge et vibre et mon œil avait de la difficulté à suivre la ligne. Personnellement, je n’ai jamais utilisé Comic Sans, même par ironie. Toutefois, la bannir ne serait pas une option pour moi, puisque je peux en comprendre l’utilisation : même si elle a été conçue rapidement, elle a un «look» particulier, elle a été créée avec une intention particulière et peut remplir une fonction précise.
Si je cherchais une police offrant les mêmes qualités, le choix est maintenant tellement vaste que je trouverais des options plus novatrices, possiblement appuyées par des études de lisibilité et en me fiant à mon intuition. Le dessin du caractère comme tel est un aspect important (sérif, sans sérif, il y a plusieurs classifications de caractères existantes). Sa graisse, son aplomb, l’espacement entre les mots, les lettres, l’interlignage, le support (écran – papier), le nombre de caractères, sa hiérarchisation (texte, titre, surtitre, intertitre) et la fonction du texte sont quelques facteurs incontournables à considérer.
Malgré toute sa popularité chez le néophyte et les controverses chez les connaisseurs, je pense que cette police a été tellement mal utilisée et bafouée qu’elle a perdu son essence ou du moins celle qu’elle aurait pu avoir.
Je suis curieuse : l’utilisation du Comic Sans pour mon texte a-t-il mis en doute le sérieux et la profondeur de mes propos ?
Merci de me répondre honnêtement.
Sylvie Pouliot